Sénégal : Procès Karim Wade, une autre justice

2 mars 2015

Sénégal : Procès Karim Wade, une autre justice

Palais de justice de Dakar
Palais de justice de Dakar

Depuis plus de deux ans, le Sénégal est marqué par l’affaire dite de la traque des biens mal acquis. Cette poursuite, amorcée par la réactivation de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) par l’actuel régime, fut appréciée par la majorité des sénégalais qui en voyaient un moyen de punir ceux qui s’en prennent aux biens publics. L’arrestation de Karim Wade, fils de l’ancien chez de l’Etat Abdoulaye Wade sonnait comme le déclin de l’impunité dans le pays. Cependant, les conditions de son arrestation et celles du déroulement de son procès remettent aujourd’hui considérablement en cause l’équilibre et l’indépendance de notre justice.

Nous avions appris à l’école primaire et tout au long de notre cycle secondaire qu’il existait trois pouvoirs au Sénégal : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Chacun était dit indépendant de l’autre. Cette règle reconnue dans la constitution est censée entre autre garantir l’égalité entre les citoyens et prémunir le pays d’une gestion partisane.

Il s’avère pourtant que cette indépendance entre les pouvoirs n’a d’existence que dans les cours que l’on nous dispensait à l’école. La réalité est toute autre.

Le procès de Karim Wade pour enrichissement illicite est venu remettre à nu l’immiscion de l’exécutif dans les affaires judiciaires.

D’aucuns me prendront comme un partisan de Karim ou comme un opposant à l’actuel régime. Je leur réponds tout simplement que je fus et je reste parmi ceux qui se sont indignés de voir des personnes en très peu d’années amasser une fortune qu’un salaire de ministre ne saurait justifier.

Je fus également content de l’arrestation de Karim Wade car il s’agissait pour moi d’une occasion pour qu’il rende compte de sa gestion de l’ensemble des responsabilités que nous lui avions confiées.

Il ne s’agissait nullement de vouloir le punir tout simplement parce qu’il fut ancien membre du régime ou un prétendu prétendant aux suffrages des sénégalais.

Il s’agit seulement de reconnaître que le déroulement du procès dans le fond comme dans la forme révèle des incohérences que tout homme épris de justice et de liberté ne saurait cautionner.

Tout d’abord, Karim Wade n’était pas la seule personne sous le coup d’une enquête de la CREI. D’autres dignitaires de l’ancien régime étaient également cités et accusés d’enrichissement illicite. Pourtant, depuis plus de deux ans, personne d’autre n’a était autant inquiété qu’il ne l’est.

Aussi, il faut reconnaître que le même système a permis à des gens comme l’actuel président ou d’autres comme Idrissa Seck, aujourd’hui opposant au régime, de s’enrichir au point d’avoir assez de moyens pour aller à la quête des suffrages des sénégalais. Et, la CREI, jusque là ne s’est jamais intéressée à enquêter sur l’origine de leur fortune.

Ensuite, la célérité de l’arrestation de Karim Wade laisse penser qu’elle était préméditée. Il aura fallut au procureur que deux heures de temps pour étudier un dossier dit-on de plus de 2000 pages et décider de son inculpation pour enrichissement illicite présumé.

On nous disait au tout début de l’histoire que Karim Wade était soupçonné d’avoir détourné plus de 2000 milliard de nos francs. Ce montant est finalement descendu à environ 117 milliard et tous les biens dont on lui attribue la propriété ont été réclamés par d’autres personnes. En plus, 47 milliard supposés lui appartenir et dormant dans un compte à Singapour n’ont jamais été retrouvés malgré une commission rogatoire.

Nous n’avons peut-être pas fait des études en droit mais tous les spécialistes s’accordent à dénoncer le non respect des droits de la défense lors du procès.

Le renvoi en plein procès du procureur spécial de la CREI, la démission d’un des accesseurs du juge, également en plein procès, sont entre autres des faits qui ne plaident pas à la faveur de ceux qui croient que cette cour est légitime.

Il s’y ajoute que le prévenu a déjà été brutalisé devant le public par les gardes pénitentiaires sur ordre du juge. Ce qui est aux antipodes de notre législation et des droits de l’homme.

Enfin, il y’a l’agitation de ceux qui sont aux affaires maintenant. Il semblerait qu’ils aient déjà condamné Karim tant on sent dans leur déclaration leur volonté de voir ce dernier passer un bon moment derrière les barreaux.

Apparemment tous les ingrédients sont réunis pour ne plus douter que ce procès a pour unique but de maintenir Karim Wade en prison. Il semble loin d’avoir pour objectif de rendre justice. Ce qui est tout simplement dramatique pour notre démocratie que nous traitions de mature. L’indépendance de la justice tant chantée n’est-elle pas qu’un leurre ? Quand on se rend compte qu’il existe vraiment un principe d’un poids deux mesures dans cette traque des biens mal acquis, on ne peut qu’être dubitatif. Et la justice sénégalaise gagnerait à ne plus se laisser manipuler par des hommes dont les ambitions restent la perpétuité au pouvoir.

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